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The Plough Boy Journals

The Journals and Associated Documents

The Plough Boy Anthology

19th Century American Whaling

Bonin Islands

Pitcairn's Island

Dictionaries & Glossaries

Ashley's Glossary of
Whaling Terms

Dana's Dictionary of
Sea Terms

150 CHAPITRE X.

CHAPITRE X.

Traversée de l'archipel des Carolines aux îles de Bonin-Sima. – Relâche au port de Lloyd. – Traversée au Kamtchatka (1).

      Nous faisions assez bonne route par de petits vents, sans rien rencontrer de remarquable. La pureté du ciel des tropiques se maintint assez long-temps. L'atmosphère était claire et la température ne baissait que peu; mais le 27 avril, par la latitude de 26°, tout changea subitement. Le temps devint humide, le ciel s'obscurcit, et le thermomètre tomba jusqu'à 17° ce qui, pour nous, était déja une température trop fraîche. Le 29 au matin, nous aperçûmes une terre au N.-E.; une pluie fine qui dura toute la journée, accompagnée de la brume la plus épaisse, nous empêchait de la reconnaître, et nous laissait dans l'incertitude


      (1) Voyez les planches 39, 40, 41 et 42.

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si elle faisait ou non partie des îles de Bonin. Le lendemain le temps s'éclaircit, et la terre vue la veille se trouva être l'île du Rosario, ou du Désappointement. C'est un îlot bas, nu, rocheux, à flancs escarpés, de moins d'un mille de largeur, et entouré de plusieurs rochers isolés. Ce dernier nom lui fut donné en 1801 par le navire anglais le Nautilus. Pour un navigateur cherchant une terre pour se rafraîchir ou pour radouber son vaisseau, il n'est point de lieu qui mérite ce nom à plus juste titre que cette petite île. Ses bords, battus par d'affreux brisants, ne lui présentent qu'une perte certaine; et s'il échappe au naufrage, il ne peut que périr par la famine sur ses roches arides. L'île paraît être volcanique.

      Continuant notre route à l'est par un vent frais du sud, nous nous trouvions à midi, sans apercevoir de terre, au point même où les îles de Bonin sont marquées sur les cartes anglaises. Le soir, quelques troupes d'oiseaux, dont le vol était dirigé vers l'est, nous firent très-à-propos venir au vent. Au point du jour [1er], l'horizon se nettoya, et nous le vîmes bordé du S.-O. au N.-E. de quatre groupes d'îles. Ces groupes ne pouvaient être que les îles de Bonin, quoique leur situation ne répondît nullement à celle qui leur est assignée sur les

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cartes anglaises. Nous nous dirigeâmes par un petit vent de N.-E. sur le second groupe du sud, qui était le plus près de nous, et peu de temps après midi nous arrivâmes à la hauteur de sa pointe septentrionale, remarquable par une grosse roche très-ressemblante au rocher Babouchkine, à l'entrée de la baie d'Avatcha. Nous courûmes le long du côté occidental, observant soigneusement si nous ne découvririons pas quelque part des indices d'un port. Des montagnes revêtues d'une verdure pompeuse et variée présentaient un tableau aussi pittoresque qu'attrayant. Entre des rochers sauvages et nus, s'élevant de trois cents pieds et plus au-dessus de l'eau, s'enfonçaient dans plusieurs endroits des anses bordées de plages sablonneuses, d'où s'élançaient assez abruptement, à la hauteur de sept à huit cents pieds, des montagnes couvertes de bois jusqu'à leur sommet. Des rochers isolés dans la mer, de diverses formes fantasques, plus nombreux surtout à la pointe méridionale, diversifiaient le tableau. Sur une de ces hauteurs nous vîmes de la fumée, et puis des hommes tirant des coups de fusil et faisant des signaux avec un pavillon anglais. Quoiqu'il se fit déja tard, je résolus d'envoyer à l'instant une embarcation à terre, pour ne pas laisser plus long-temps sans

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consolation des malheureux que nous regardions indubitablement comme des naufragés. J'ordonnai à l'enseigne Ratmanoff de passer la nuit à terre avec le canot, et de revenir au point du jour. Il était accompagné de MM. Mertens et Kitlitz.

      Ils revinrent le lendemain matin, amenant avec eux le bosseman Wittrien et le matelot Petersen, du baleinier anglais Williams, perdu sur cette côte dans l'automne de 1826. J'appris d'eux que le capitaine anglais Beechey, de la corvette Blossom, nous avait devancés en faisant, au mois de juin de l'année précédente, la reconnaissance de toutes ces îles, et en en prenant possession au nom de Sa Majesté britannique. Les navigateurs ne s'étonneront pas de nous entendre avouer que nous fûmes profondément fâchés d'avoir été prévenus dans la résolution de l'un du petit nombre des problèmes géographiques de quelque importance qui restent encore à éclaircir de notre temps. Faire une seconde fois la reconnaissance de cet archipel après un officier aussi habile que le capitaine Beechey, c'eût été perdre en vain son temps. Je résolus donc de mettre à profit d'une autre manière le peu de jours que nous pouvions encore prendre sur notre traversée au nord, c'est-à-dire, de faire

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dans cet endroit des observations sur le pendule, etc., et de fournir à MM. les naturalistes l'occasion d'explorer la nature d'une terre encore entièrement inconnue sous ce rapport.

      Nous nous trouvions droit en face de l'entrée d'un très-bon port, dont Wittrien me remit le plan qu'avait laissé ici le capitaine Beechey pour les bâtiments qui auraient occasion d'y relâcher. Nous guidant d'après ce plan, nous nous mîmes à louvoyer vers ce point, et après plusieurs bordées nous jetâmes l'ancre au haut du port, appelé par notre prédécesseur port de Lloyd.

      Je descendis à terre le même jour, accompagné des deux anachorètes de Bonin, pour chercher un endroit convenable à mes travaux. Il était très-singulier de rencontrer dans le bois, à une grande distance de la mer, tantôt des débris de mâts, même des mâts de hune entiers, tantôt de larges masses de bordage, et, à chaque pas, des barriques, ici vides, là, remplies d'huile la plus pure de spermaceti, dont le Williams avait son chargement complet lorsqu'il fut naufragé. Ce bâtiment était à l'ancre dans un mauvais endroit de la partie méridionale du port. On peut croire qu'il était sous l'influence d'un destin ennemi; car immédiatement avant son désastre, il avait ici même perdu son

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capitaine, tué par la chute d'un arbre qu'on abattait. Peu de jours après cet événement, le Williams fut arraché de dessus ses ancres par un violent coup de temps, et jeté sur les roches dans l'anse que nous avons appelée l'anse du Naufrage. Tout l'équipage se sauva à terre. A peu de temps de là, le navire le Timor, appartenant au même armateur que le Williams, vint mouiller dans le port de Lloyd, et tout le monde partit sur ce bâtiment pour les Indes orientales, à l'exception de Wittrien et de Petersen, qui consentirent à rester pour sauver ce qu'on pourrait du baleinier naufragé, le capitaine du Timor leur ayant promis de venir les reprendre l'année suivante. Soutenus par cette espérance, nos deux ermites vivaient tranquillement dans la maisonnette qu'ils avaient construite des débris du navire, qui fut mis en pièces et dispersé sur tous les rivages du port par un ouragan qui survint vers la fin de l'automne. Soit qu'ils comptassent toujours sur l'arrivée de leur bâtiment, soit que les matelots du commerce redoutent de servir sur les vaisseaux de guerre, ils ne voulurent point s'embarquer sur le Blossom. Cependant, depuis son départ, aucun autre bâtiment n'ayant paru jusqu'à nous, ils me prièrent avec instance de les délivrer de leur emprisonne-

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ment; ce que je fis naturellement avec plaisir (1).

      Le lendemain nous nous donnâmes le plaisir d'une visite à l'habitation du nouveau Robinson. Nous fûmes rencontrés sur la rive par les descendants des compagnons d'infortune de nos solitaires, un énorme troupeau de cochons, qui n'ayant pas reçu depuis vingt-quatre heures leur nourriture accoutumée, nous entouraient et nous suivaient partout. Une maison en planches de bordage de navire, avec un perron, couverte en toile, et portant au-dessus de la porte l'inscription: Charles Wittriens premises, était la résidence de nos hôtes. Une table, deux hamacs, un coffre, dont le couvercle d'acajou était le dessus de la table du capitaine, des fusils, une Bible, un volume de l'Encyclopédie britannique, quelques instruments de pêche et deux estampes, formaient l'ameublement de cette unique habitation humaine sur les îles de Bonin (2). Il y avait attenant un petit réduit couvert en cuivre, à côté un magasin, un peu plus


      (1) Wittrien, homme d'une soixantaine d'années et maladif, avait parlé, vraisemblablement par plaisanterie, de son intention de faire venir une femme des îles Sandwich, et de s'établir ici pour toujours. (Voy. Capt. Beechey's Voyage, part. II, pag. 232.)

      (2) Voyez la planche 39e.


Planch 39
Habitation de deux europeens naufrages dans
le port lloyd de L'Ile Peel.

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loin deux marmites incrustées dans un fourneau, pour servir de saunerie; sur le rivage, deux canots en planches d'un pouce d'épaisseur, doublées en cuivre; partout un mélange de misère et de luxe; partout des traces du génie d'invention que le besoin inspire à l'homme. Des sentiers battus dans diverses directions conduisaient de la maison à quelques reposoirs et à des petits bancs placés dans les endroits d'où ils pouvaient le mieux découvrir la mer, et où ils passaient les journées entières, dans l'attente de voir paraître quelque navire, messager de leur délivrance. L'ennui et cet insurmontable sentiment de tristesse qui s'empare de l'homme privé de la société de ses semblables, étaient les seuls ennemis qui troublassent le repos de leur vie, qui, avec les ressources que leur offrait la riche nature de cette terre, sous un beau climat, et avec ce qu'ils étaient parvenus à sauver du navire, aurait pu même être agréable. Les cochons, qui, de deux gros individus sauvés ensemble avec eux, s'étaient extraordinairement multipliés, leur étaient non-seulement toute inquiétude relativement à la nourriture, mais leur servaient encore de véritables compagnons, en dépit de l'opinion généralement accréditée que cet animal n'est pas susceptible d'attachement pour

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l'homme. Petersen avait apprivoisé un petit cochon absolument comme un petit épagneul de boudoir; il couchait avec lui et dansait même quelquefois. Les cochons erraient ordinairement en liberté; mais, au coup de sifflet qui leur était connu, ils accouraient au gîte, de toutes les parties de l'île.

      Nous plaçâmes notre observatoire dans la partie S.-E. du port, dans une anse appelée pour cette raison anse du Pendule. C'est l'endroit le plus agréable de toute la baie. Entre les sables du rivage et les montagnes, une plaine médiocrement large, couverte d'arbres séculaires, forme un magnifique bosquet traversé par un petit ruisseau, dont le lit me découvrait l'horizon au sud, jusqu'à la hauteur d'environ 20°.

      Outre ces opérations, nous eûmes ici un autre travail. Dès le début de la campagne, il s'était manifesté à bord de la corvette une petite voie d'eau, dont nous n'avions jamais pu découvrir la cause. Peu de jours avant notre arrivée ici, la voie d'eau avait graduellement augmenté, et était enfin parvenue jusqu'à donner quatre pouces d'eau à l'heure; de sorte que nous étions obligés de pomper à chaque quart. Après l'examen le plus minutieux dans l'intérieur, nous trouvâmes la place de la

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voie d'eau à bâbord, vis-à-vis du mât d'artimon, à quatre pieds environ au-dessous de la flottaison. La liaison des couples, d'après le nouveau système de construction, ne permettait pas de voir l'avarie; mais on entendait distinctement le gargouillis de l'eau entre les couples et le bordage. Pour trouver et réparer le dommage, il fallait donner au navire une bande de cinq à six coutures; nous le conduisîmes à cet effet dans le trou de dix brasses (Ten fathoms hole): c'est ainsi que le capitaine Beechey appela le port intérieur. Il fut reconnu que la voie d'eau était due à une faute qui se reproduit souvent dans la construction navale: c'était un trou percé à faux et qu'on avait oublié de boucher. Il est remarquable que la doublure en cuivre qui recouvrait cette place, avait été enfoncée et ensuite déchirée par la pression de l'eau; elle avait probablement retenu d'abord la voie d'eau, qui avait augmenté lorsqu'elle s'était déchirée.

      Le 13 mai tous nos travaux, tant à l'observatoire que sur la corvette, étaient terminés; le plan du port avait été levé trigonométriquement; la journée du lendemain se passa dans les arrangements définitifs pour mettre en mer; et le 15 nous quittâmes le port de Lloyd, emportant avec nous

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les deux seuls habitants de ce lieu avec leur bagage (1)

      Le célèbre orientaliste Remusat inséra, dans le Journal des savants de 1817, la description d'un archipel connu des Japonais sous le nom de Bonin-Sima, avec une carte, tirées, l'une et l'autre, par lui d'un ouvrage japonais. Les géographes ne tardèrent pas à porter ces îles sur leurs cartes, d'après la carte japonaise, en conservant tous ses défauts. Il était assez invraisemblable, que dans une étendue de mer déja très-explorée, un archipel de quatre-vingt-neuf îles, en partie assez grandes, eût pu rester inconnu; c'est pourquoi quelques géographes crurent plus sûr de ne pas les admettre sur leurs cartes; et il nous était enjoint par nos instructions de reconnaître l'endroit où ces îles étaient indiquées, afin de décider si elles existaient ou non. Le lecteur a vu que cette question fut résolue avant nous par le capitaine anglais Beechey. Ce navigateur cependant doute de l'identité de ces îles avec celles décrites dans


      (1) Wittrien ne quitta la corvette qu'à Londres, et Petersen alla du Kamtchatka à Okhotsk, où il s'engagea au service de la compagnie russo-américaine.

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l'ouvrage japonais, et suppose qu'elles sont les mêmes que les îles de l'Archevêque (Islas del Arzobispo), qu'on trouve dans les anciennes cartes espagnoles. Telle était déja l'opinion de l'amiral Krusenstern et de MM. Remusat et Klaproth; mais il me semble qu'en examinant plus attentivement la carte et la description japonaises, on ne peut s'empêcher d'y retrouver les îles que nous avons reconnues, ainsi que nous l'exposerons plus en détail dans la partie géographique.

      Les îles de Bonin-Sima sont situées presque sur le même méridien, entre 26° 36' et 27° 5' de latitude, et par 217° 5' de longitude. Elles forment quatre groupes. Nous reconnûmes les trois le plus au nord, dans la ferme assurance, fondée sur le dire de Wittrien, que le groupe le plus au sud avait été reconnu par la corvette Blossom; mais, à notre retour en Europe, nous apprîmes avec regret que les Anglais aussi n'avaient reconnu que ces trois mêmes groupes. Le Port de Lloyd se trouve au second groupe en venant du sud, sur le côté occidental de l'île à laquelle ils ont donné le nom de Peel. Ce port a été découvert par les navires baleiniers qui, comme nous l'avons vu plus haut, étendent depuis quelque temps leurs courses jusqu'aux côtes du Japon. Ils venaient,

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au commencement et à la fin de la pêche, s'approvisionner ici d'eau, de bois et de tortues. Quelquesuns entraient dans le port; mais la plupart se tenaient sous voiles à l'entrée. Ce port offre de grandes ressources aux navigateurs: un asile sûr dans toutes les saisons, une entrée et une sortie commodes, un beau climat, de bonne eau, et du bois en abondance; pendant les six mois d'été une multitude de tortues, une mer féconde en excellent poisson et en écrevisses; et, depuis l'établissement de la ferme provisoire que nous avons décrite, des cochons qui, dans peu de temps, couvriront toute l'île; une infinité d'herbes et de racines antiscorbutiques, et le délicieux chou palmiste.

      L'eau des pluies qui découle des montagnes durant la plus grande partie de l'année, fait qu'il ne peut jamais y avoir disette d'eau. Mais quand bien même l'eau de pluie viendrait à être absorbée par la sécheresse, on pourrait creuser des puits. Wittrien en avait creusé un à côté de sa maison, dont l'eau était toujours fraîche et savoureuse. Les tortues, depuis le mois de mars jusqu'au mois d'octobre, couvrent toutes les anses du port: elles s'en vont à la fin de l'automne; mais il s'en montre quelquefois d'isolées, même en hiver, Il est à

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craindre que les cochons ne chassent de là les tortues: leur odorat, extrêmement fin, leur fait découvrir les trous dans lesquels elles déposent leurs oeufs, qu'ils dévorent; de sorte que l'avantage de leur introduction compenserait à peine le dommage causé par leur voracité. Mais il est plus vraisemblable que l'instinct des tortues les portera à s'établir sur les îles voisines, où les cochons ne peuvent pénétrer. Elles ont un autre ennemi dans les corbeaux, dont le nombre est immense ici; lorsqu'elles pondent leurs oeufs, ils se glissent par derrière, et tâchent de s'en emparer. Les corbeaux attaquent même les cochons: ils enlèvent souvent les petits, et arrachent la queue à ceux qu'ils n'ont pas la force d'emporter. Par un effet remarquable de l'instinct, les truies, connaissant leur ennemi, se retirent, avant de mettre bas, dans la profondeur des bois, et ne reparaissent que lorsque leurs petits sont déja devenus assez grands.

      La hauteur majestueuse et la vigueur des arbres, la variété et le mélange des plantes tropicales avec celles des climats tempérés, attestent déjà la fertilité du terrain et la salubrité du climat (1). La plupart de nos productions de jardin et de nos


      (1) Voyez les planches 40, 41 et 42.

Planch 40
Vue prise dans les bois.

Planch 41
Vue prise dans les forets de L'ile Peel.

Planch 42
Vue dans l'interieur de L'ile Peel.

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plantes potagères, et peut-être toutes, réussiraient ici à merveille, ainsi que le froment, le riz, le maïs; on ne saurait désirer un meilleur climat et de meilleures expositions pour la vigne. Les animaux domestiques de toute espèce, les abeilles, s'y multiplieraient très-promptement; en un mot, avec une colonisation peu nombreuse, mais laborieuse, ce petit groupe pourrait devenir en peu de temps un lieu d'abondantes ressources en toute sorte d'objets.

      Une colonie serait très-importante ici pour un peuple commerçant avec le Japon, avec les îles de Loutchou et la Chine; et son établissement n'aurait à surmonter aucune difficulté. Les Chinois, qui meurent de faim dans leur pays, consentiraient bien volontiers à venir s'établir sur une terre si voisine, et dont le climat se rapproche tant de celui de leur patrie. Cinquante familles de cultivateurs changeraient en peu d'années la face des montagnes de Bonin, qui captivent maintenant parleur pompe sauvage, et qui charmeraient alors par des tableaux pareils à ceux qui enchantent le navigateur à l'aspect des côtes de la Chine et du Japon. Peu de travaux et de dépenses rendraient le port entièrement inattaquable. Je serais bien étonné si les Anglais ne colonisaient pas ces îles;

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autrement la prise de possession qu'ils ont déjà exécutée serait tout-à-fait sans objet. Cette colonie, importante d'abord pour leurs baleiniers de la mer du $ud, le serait bien plus encore pour leur commerce de la Chine, soit permis, soit de contrebande (1).

      D'après le dire de Wittrien, l'hiver est ici fort modéré. Il y a en automne de terribles ouragans, accompagnés quelquefois de tremblements de terre et d'inondations. Dans la première année de son séjour sur l'île, son habitation fut renversée par les eaux, et son compagnon et lui furent obligés de se réfugier sur les montagnes. Il règne, en octobre, des tempêtes du N.-E., et, en avril, du S.-O.; le beau temps se fixe en mai, surtout par des vents d'ouest; les vents d'est apportent de la brume; en hiver, au contraire, les vents de nordest amènent le beau temps.

      En quittant le Port de Lloyd (Vignette no 12), nous reconnûmes les deux groupes les plus septentrionaux des îles de Bonin-Sima (auxquels le


      (1) Ces lignes étaient déjà écrites lorsque le gouvernement anglais songeait en effet à coloniser les îles de Bonin-Sima; et ce projet, d'après les feuilles publiques, a été déjà mis a exécution.

166 CHAPITRE X.

capitaine Beechey a donné les noms des capitaines Kater et Parry), et nous nous mîmes ensuite en route pour le Kamtchatka. Des vents d'est frais, et parfois forts, nous firent avancer rapidement pendant cinq jours, par un très-mauvais temps. Le 20 mai, par 33 degrés et demi de latitude et 214 degrés un quart de longitude, il survint un calme qui, à quelques petits intervalles près, dura une semaine entière. Le 27 mai, il se leva un vent de S.-E. très-frais, qui dura plus de trois fois vingtquatre heures, et qui, dans cet espace de temps nous porta par la latitude de 45 degrés et demi et par la longitude de 202 degrés et demi. Nous ressentîmes fortement le changement de latitude; le thermomètre descendit jusqu'à +3°, et nous étions prêts a nous vêtir de nos pelisses. Depuis le 1er juin, de faibles vents ou des calmes plats vinrent de nouveau nous tourmenter pendant plus d'une semaine; et cette contrariété était d'autant plus désagréable, que nous étions déjà près du port. Le 8 juin, au matin, nous eûmes fond a cent quatrevingt brasses, et bientôt après, quand l'épais brouillard se fut dissipé, nous vîmes les côtes du Kamtchatka. Un vent frais du sud nous en approcha bientôt. Le soir, le temps s'éclaircit tout-àfait, et toute la côte du Kamtchatka se découvrit

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à nous comme un magnifique panorama. Tous les volcans, depuis le second jusqu'à celui de Koriatsky, étaient clairement en vue, Ils sont trèsfidèlement représentés dans l'atlas de l'amiral Krusenstern. Nous reconnûmes, le matin du 9, l'entrée de la baie d'Avatçha, et à une heure de l'aprèsmidi nous jetâmes l'ancre dans le port de Petropavlofsky.

      Trompés dans notre espérance de nous approvisionner de biscuit aux îles Mariannes, nous n'en avions pas maintenant, même en le ménageant, pour plus de trois mois. Pour compléter cet approvisionnement indispensable, de manière à en avoir assez pour aller jusqu'à Manila, je résolus d'acheter ici de la farine de seigle, et de laisser quelques hommes pour en fabriquer du biscuit pendant notre absence. Diverses dispositions à cet effet, la préparation des barils, etc., ainsi que la mise en ordre des cartes et des journaux de la campagne d'hiver pour leur envoi en Russie, et d'autres affaires encore, nous retinrent au Kamtchatka plus que je ne l'aurais voulu. Ce ne fut que le 26 juin que nous pûmes sortir du port pour nous rendre dans la baie d'Avatcha.

      Mon second, le lieutenant Zavalichine, dut quit-

168 CHAPITRE X.

ter ici l'expédition. Sa santé, déja faible, s'était dérangée à tel point, par suite des grandes fatigues qu'il avait éprouvées jusqu'ici, que les médecins jugèrent impossible qu'il pût, sans danger évident pour lui, nous accompagner dans le climat humide où nous avions maintenant à opérer, et il crut plus convenable de profiter du départ d'un transport pour Okhotsk, afin de retourner en Russie. Ce fut une perte bien sensible pour moi; car l'absence de M. Zavalichine me privait d'un excellent aide. Il était chargé presque exclusivement de tous les travaux hydrographiques, et, en outre, du soin de la corvette pendant les fréquents séjours que je faisais à terre pour les expériences et les observations; et il s'acquittait de tous ces devoirs avec zèle et avec talent.

      Le baron Kitlitz, calculant que son séjour durant tout l'été au Kamtchatka, et ses excursions dans l'intérieur de la presqu'île, pour lesquelles les autorités provinciales lui promettaient tous les secours possibles, pourraient être très-profitables à l'histoire naturelle, prit aussi le parti de rester ici jusqu'à notre retour.


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