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NOUVEAUX MÉLANGES ASIATIQUES,
OU RECUEIL DE MORCEAUX DE CRITIQUE ET DE MEMOIRES, Volume 1.
[Jean Pierre] Abel-Remusat
Paris, Schubart et Heideloff, 1829
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DESCRIPTION D’ILES PEU CONNUES.
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DESCRIPTION
D’UN GROUPE D’ISLES PEU CONNU
ET SITUé
ENTRE LE JAPON ET LES ILES MARIANNES.
Rédigée d’après les relations des Japonais. (1817).
Les progrès immenses que les découvertes des navigateurs ont fait faire à la géographie positive, en rendant sensible l’imperfection des cartes dressées par les hàbitans des pays même les plus civilisés de l’Asie, ont peut’être inspiré, pour ces dernières, une indifférénce parfois peu méritée. Tant que la mer n’aura pas été sillonnée dans toutes les directions, les côtes suivies et relevées dans toute leur étendue, l’intérieur des terres parcouru en tout sens par des observateurs instruits, les espaces laissés vides sur nos cartes n’offriront aux yeux qu’une nudité peut-être trompeuse; les dentelures des rivages, l’enchaînement des montagnes, les sinuosités des rivières, le groupement des îles, que des ornemens trop souvent arbitraires: on pourra, sans rougir, emprunter les descriptions, soit verbales, soit figurées, qui seront fournies par les naturels; et, en appréciant les témoignages de ceux-ci, d’après la connaissance qu’on aura
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pu acquérir d’ailleurs de leur habileté ou de leur exactitude, s’en servir pour enrichir la science dans les parties que nos voyageurs n’ont pas encore suffisamment éclairées par eux-mêmes.
Si l’on ne savait que l’attention et la patience peuvent suppléer à tout, on aurait peine à concevoir la précision des résultats auxquels parviennent les Asiatiques, privés des secours q1ie la géométrie et l’astronomie prêtent à la géographie. Les grandes cartes de la Chine, dont le P. Martini a fait la traduction, sont antérieures de deux siècles au travail des jésuites mathématiciens; et cependant, chose remarquable, l’opération de ces derniers n’a occasionné aucune réforme capitale dans la position respective des villes de ce grand empire. Il serait assurément fort utile de posséder le relevé particulier des côtes, qui est conservé dans les archives de chaque province du littoral de la Chine. De long-temps les Européens n’auront la permission d’entreprendre les travaux qui pourraient le remplacer; et quand on saurait en exécuter quelques parties à la dérobée, on ne pourrait encore se passer des connaissances locales que les naturels sont seuls en état de recueillir.
Un peuple qui, quoique disciple fidèle des Chinois, montre moins de préventions contre les notions qui ne sont point nées dans son sein, les Japonais, en adoptant la méthode de graduation et de projection, dont les cartes européennes leur fournissaient le modèle, semblent s’être acquis des droits particuliers à notre attention, quand ils ont appliqué ces instru-
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mens précieux à la représentation de leur propre pays ou des contrées voisines. La grande carte du Japon, composée de cette manière, et réimprimée avec des corrections, en 1744 (49 pouces 1/2 sur 31), est un magnifique monument géographique. M. Titsingh, ancien ambassadeur à la Chine, avait rapporté de Nagasaki plusieurs exemplaires de cette carte; et c’est vraisemblablement d’après cet excellent modèle que M. Arrowsmith a tracé les côtes du Japon, dans sa carte d’Asie. Il est à regretter que, faute de pouvoir lire les noms écrits en japonais ou en chinois sur l’original, cet estimable géographe ait été forcé de se borner à reproduire les divisions et le peu de détails marqués par Kaempfer, Je possède moi-même un exemplaire sur lequel M. Titsingh a écrit à la main des chiffres servant de renvois à une table des noms japonais qu’il avait sans doute rédigée, et qui a dû se trouver jointe à quelque autre exemplaire de la même carte. Il serait fâcheux que ce travail important, ainsi que les autres ouvrages historiques et géographiques que la mort a forcé M. Titsingh de laisser imparfaits, demeurassent dans l’oubli, sans utilité pour le public, et sans profit pour la gloire de l’auteur1.
Un autre ouvrage également rapporté en Europe par M. Titsingh, et qui, depuis sa mort, est tombé en ma possession, est une description des pays voisins du Japon, publiée à Yedo, en 1785. Cette description
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est en japonais1, et accompagnée de cinq cartes, moins belles, à la vérité, que la grande carte dont je viens de parler, mais dessinées encore avec beaucoup de soin, et soumises à. la graduation. Voici la notice des objets qu’elles contiennent:
1° La carte générale des pays voisins du Japon, représentant le Kamtchatka, la terre de Yeso, l’île Tchoka, la côte de Tartarie, la presqu’île de Corée, ta côte de la Chine jusqu’à Formose, les îles du Japon et les Lieou-kieou, avec un autre groupe d’îles sur lesquelles je reviendrai dans un instant;
2° La carte particulière de Yeso, avec la partie voisine du continent, et la partie septentrionale du Japon. Cette carte offre des détails curieux pour toute la partie méridionale de Yeso, souvent visitée et dépendante dès lors des Japonais. Le nord est moins chargé de noms, et l’on y voit la trace des efforts que les géographes japonais ont faits pour concilier leurs propres connaissances avec les notions qu’ils ont empruntées aux Européens sur l’île Tchoka, l’embouchure du Sakhaliyan-Oula, etc.;
3° La carte de la Corée. On sait que celle que d’Anville a fait entrer dans son Atlas, rédigée par le P. Régis, n’a pour base que les descriptions qui furent données à ce missionnaire par des Chinois et des Mandchous. On peut donc s’attendre à trouver entre les deux cartes de très grandes différences. Celle des
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Japonais est très détaillée et paraît fort exacte: la distinction des villes capitales et secondaires, des bourgs, forteresses, campemens, etc., est soigneusement marquée par des signes particuliers; la distance des principales villes aux capitales de chaque province est exprimée en journées de chemin. Malheureusement les noms y sont écrits en chinois seulement, à l’exception des capitales, où l’on a ajouté le nom japonais: par là on n’a pas encore les noms du pays, que la prononciation coréenne doit rendre assez différens des autres; tout Ce qu’il y a de coréen sur cette carte, c’est le nom des quatre points cardinaux, en lettres coréennes: encore sont-ils pris du dialecte chinois de Corée, qui diffère beaucoup de l’idiome de cette contrée;
4° La carte des îles Lieou-kieou, Madjikosima et Thai-wan, avec celles de la pointe sud-ouest du Japon. Le nombre des îles qui composent ces différens groupes est bien plus considérable que dans nos cartes les plus récentes, même dans celle qui a été dressée, en 1809, d’après le journal du Frédéric de Calcutta. Les distances entre les principales, et les routiers, depuis le Japon jusqu’au continent chinois, sont marqués en ri, ou milles japonais 1;
5° Enfin, la carte d’un petit archipel qui n’a pas de nom sur nos cartes, ou plutôt qui n’y a pas encore
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trouvé place1. Les Japonais, qui paraissent fort bien connaître ces îles, les nomment Bo-nin Sima, îles inhabitées, non qu’elles soient de nos jours effectivement privées d’habitans, mais parce qu’elles l’ont été long-temps à leur connaissance, et que ceux qu’elles contiennent aujourd’hui sont des colons venus, à une époque connue, de la pointe sud-est de Ni-fon. Comme la plupart des géographes ne placent point d’îles en cet endroit, et que ceux qui en mettent le font d’après des données vagues et insuffisantes, j’ai cru qu’il serait utile de recueillir celles que les Japonais nous transmettent; elles portent un caractère d’exactitude qui doit leur mériter quelque attention. Il peut s’y être glissé plusieurs erreurs de détail, mais il est impossible que le fond n’en soit pas généralement vrai. c’est aux voyageurs qui visiteront ces mers, à nous apprendre jusqu’à quel point-on peut compter sur les relations des Japonais, et à vérifier, si j’ose ainsi parler, cette découverte, faite à Paris, d’un nouveau groupe d’îles dans la mer orientale.
Ce n’est pas que depuis long-temps les voyageurs et les géographes n’aient été avertis de l’existence de ces îles, et qu’on n’ait eu à ce sujet quelques notions confuses, dès le temps des premières navigations dans ces parages. Si les îles des Volcans, découvertes par le vaisseau le San-Juan, en 1544, sont, comme on a
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lieu de le penser, l’île de Soufre du troisième Voyage de Cook, l’île inhabitée que le même vaisseau trouva trente lieues plus loin vers le nord-est, et que la relation de Galvaom nomme Forfana, doit avoir fait partie de notre groupe. La carte espagnole, que l’amiral Anson prit en 1743 sur le galion d’Acapulco, plaçait en cet endroit les îles de Saint-Alexandre, Farallon, Todos los Santos, et un groupe sans nom, que tout récemment M. Brué a reproduit sur ces cartes, avec cette note dictée par une sage réserve: Iles dont l’existence est douteuse. Celle dont M. de la Pérouse eut communication à Monterey joignait à l’île Saint-Alexandre celles de Fortuna, du Volcan, de Saint-Augustin, et un groupe tout-à-fait correspondant au nôtre, sous le nom d’lslas del Arzobispo. Ces îles de l’Àrchevêqué, considérées par M. Tuckey1 comme formant la pointe septentrionale des Mariannes, et par Zimmermann2 comme pouvant se rapporter au Grampus de Meares, ont eu un sort varié sur les cartes modernes. Quelques géographes français les ont conservées avec leur nom. M. Arrowsmith les avait figurées, dans sa carte d’Asie et dans la mappemonde, sous la forme d’un petit groupe ponctué sans nom; et dans sa grande mappemonde en huit feuilles, il y a joint, d’après le voyage du Nautile, en 1801, les îles Disappointment et Moore, qui correspondent aux extrémités sud-ouest et nord-est des îles Bo-nin. Enfin, depuis
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G. Delisle, presque tous les géographes ont conservé des îles Saint-Roch, Saint-Thomas, Saint-Mathieu, qui peuvent avoir fait partie des îles Bo-nin, et qui doivent avoir été vues par Fondrac dans le voyage qu’il fit, en 1709, de Macao à la Californie, sur le vaisseau français le Saint-Antoine de Pade1.
Ces différentes données n’ont pas semblé assez exactes pour admettre, comme étant démontrée, l’existence d’un groupe d’îles en cet endroit. Je crois qu’on en jugera différemment en les voyant complètement confirmées par les Japonais. Pour achever de faire voir que la description donnée par ceux-ci n’est en rien contraire à ce que nous apprennent nos navigateurs modernes, rappelons en peu de mots la route qu’ont tenue les plus célèbres en traversant les mers du Japon. Le Castricom, après avoir fait le tour de l’île Fatsisio, ne descendit point vers le midi au-delà de l’île Bleue. La Résolution, revenant du Kamtchatka, en 1779, prit la position de l’île de Soufre et d’une autre île très élevée qui en était éloignée d’environ huit lieues vers le nord, et qui peut-être répond à l’une des plus méridionales de notre groupe. Le capitaine Meares dut en passer très près en I788; mais, depuis le vingt-cinquième parallèle, ce navigateur eut une brume continuelle, et si épaisse en certains momens, qu’il était impossible d’apercevoir les objets d’un bout à l’autre du vaisseau. Néanmoins, vers le point qui répond aux îles Bo-nin, il rencontra les
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oiseaux de terre, les herbes et les autres signes que les marins ont coutume de regarder comme l’indice du voisinage de la terre. Colnett, en 1789, passa au nord de Fatsisio; Broughton suivit la même route en 1796, et revint l’année suivante en serrant de plus près la côte de Ni-fon. l’amiral Krusenstern, en 1804, prit son chemin au midi, mais à une petite distance de Fatsisio; sa route en 1805 fut, dans la longitude de nos îles, aussi méridionale que celle de la Résolution. On voit que tous cès navigateurs ont passé, les uns trop au nord, les autres trop au midi, pour avoir pu rencontrer les îles Bo-nin. Dans l’espace que leurs routes laissent entre elles, se trouvent en cet endroit sept degrés de latitude qui n’ont pas été reconnus, et qui suffisent, et au-delà, pour contenir tout l’archipel décrit par les Japonais.
Kaempfer est jusqu’ici le seul auteur qui ait recueilli quelque chose de leur relation; mais ce qu’il en dit est si inexact, qu’il n’a été pôssible d’en tirer aucun parti:
"Environ l’an 1675, dit-il, le hasard fit découvrir une île très grande. La tempête y jeta une barque de l’île Fatsisio, dont on compte que cette nouvelle île est éloignée de trois cents milles vers l’est. On trouva qu’elle n’était,pas habitée, mais que du reste le pays était beau et fertile, bien pourvu d’eau, et produisant en abondance des plantes et des arbres, particulièrement l’arbre de l’arack, ce qui pourrait néanmoins donner lieu de croire qu’elle est plutôt située au sud qu’à l’est du Japon, ces arbres ne croissant que dans les pays chauds. Ils l’appelèrent
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Bunesima, ou l’île de Bune, et, parce qu’ils n’y trouvèrent point d’habitans, ils la marquèrent du caractère qui désigne une île déserte. Ils virent sur les côtes une quantité prodigieuse de poissons et d’écrevisses, dont quelques-unes avaient quatre ou cinq a pieds de long1".
Il y a, comme on le verra bientôt, beaucoup de choses inexactes dans ce récit; et d’ailleurs la position de l’île découverte y est si vaguement indiquée, que, sans de nouveaux renseignemens, il eût fallu renoncer à en faire usage. c’est ce qu’a pensé M. Burney, dans son grand et magnifique ouvrage sur l’histoire de l’Océan pacifique, où, après avoir rapporté le passage de Kaempfer, il ajoute: "Il serait inutile de faire aucune conjecture sur la situation de cette île, si ce n’est que les milles étaient probablement la mesure hollandaise, de quinze au degré. Les écrevisses de quatre à cinq pieds de long étaient des tortues2". Ce qu’un auteur aussi habile et aussi profondément versé dans ces matières a jugé impossible, le serait sans doute pour tout autre; et je n’aurais jamais songé à examiner ce point de géographie, si le hasard n’eût fait tomber entre mes mains la carte originale dont j’ai parlé, ainsi que la description qui s’y
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rattache. Je vais faire usage de l’une et de l’autre pour étendre et rectifier le récit de Kaempfer.
En premier lieu, ce savant voyageur ne parle que d’une seule grande île, et le géographe japonais en compte quatre-vingt-neuf, dont la plus grande ne surpasse pas en étendue l’île de Fatsisio. La relation du voyageur allemand place l’île découverte par les Japonais à trois cents milles à l’est de Fatsisio, et semblerait se rattacher aux anciennes fables débitées sur les îles d’Or et d’Argent, que l’opinion commune plaçait dans cette direction. La description originale met les îles Bo-nin précisément au midi de Fatsisio, à la distance d’environ quatre-vingt lieues, ce qui au reste confirme et justifie l’une des conjectures de Kaempfer. Enfin le nom de Bunesima est corrompu: il fallait écrire Bou-nin sima ou Mou-nin sima1, et c’est ce mot qui signifie îles inhabitées, ou littéralement îles sans hommes. Pour rendre plus intelligible la description que je vais extraire en la traduisant du japonais, j’y joindrai le calque d’une partie de la carte générale, qui comprend, outre le nouvel archipel, la côte méridionale du Japon et les îles Lieou-khieou, de manière à faire voir la situation réspèctive des îles. Je n’ai pas cru devoir rien corriger ni rien ajouter à
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l’original, même en faisant usage de nos connaissances; j’ai mieux aimé qu’on pût juger de celles des Japonais; et le seul changement que je me sois permis, c’est d’étendre sur la surface de la carte la graduation qui, dans l’original, n’est marquée que sur le cadre. On voit, par là que l’espace occupé par toutes les îles réunies s’étend du vingt-cinquième au vingt-neuviéme parallèle, ce qui est d’abord peu vraisemblable, en opposition avec le calcul général des distances, et avec la carte particulière où les latitudes sont marquées sur les deux îles principales. Cette dernière carte offre aussi des différences quant à la configuration et à la position des îles: j’ai dû les conserver pareillement,et j’ai placé comme développement, à côté de la carte générale, un extrait de la carte particulière, qui paraît mériter plus de confiance quoique dessinée d’une manière peu élégante1. Il est probable que la première distance, celle qui est prise de Fatsisio, doit
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être, à peu de chose près, exacte, et que les erreurs de la carte générale viennent de ce que le géographe n’a pas su réduire et renfermer son dessin dans les limites qui lui étaient prescrites. Cette circonstance explique aussi pourquoi le capitaine Gore et l’amiral Krusenstern n’ont pas, depuis l’île de Soufre, aperçu et reconnu tout le groupe des Bou-nin. c’est que ces dernières né s’étendent pas au midi jusqu’au vingt-cinquième parallèle, comme j’ai été forcé de le représenter, pour me conformer à mon original.
La plus méridionale des îles japonaises, du côté de l’orient, est, suivant Kaempfer, l’île de Fatsisio, où sont relégués les criminels d’état. Sur la carte que je possède, la couleur verte, affectée aux possessions japonaises, est étendue à quelques îlots situés au sud-est de Fatsisio, et dont le principal est Ardo-sima ou l’île-bleue. De Fatsisio au premier îlot marqué de la couleur rouge, c’est-à-dire, appartenant au groupe des îles inhabitées, la distance est évaluée à cent quatre-vingt ri, ce qui fait environ cent quatre-vingt lieues, vers le sud. De là, il y a huit ri jusqu’au second îlot, puis sept jusqu’au troisième, puis trois jusqu’à une île qui n’a point de nom particulier, quoiqu’elle ait cinq ri de tour: cette dernière est montagneuse et
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très boisée. Au midi est une autre île pareillement boisée, de sept ri de tour, et sur la côte occidentale de laquelle se trouve un ruisseau d’eau douce. On peut, de là, passer dans l’île principale, nommée île du Nord, et dont le contour fort irrégulier est évalué à quinze ri, ou sept lieues et demie. A la partie orientale est un temple dédié aux Esprits. Du côté du nord, la côte s’avance en suivant une chaîne de montagnes, au couchant de laquelle est situé le Grand-village:
cette habitation n’a pas d’autre nom. Vers le milieu de l’île, sur la côte septentrionale, est un autre village nommé O-moura. Le reste du pays est couvert d’arbres et de plantes étrangères à la végétation japonaise, à l’exception d’un terrain carré et plane, de quatre mats d’étendue, à la pointe occidentale. O-moura est situé à la latitude de vingt-sept degrés et demi.
De l’île du nord à celle du sud, on compte vingt ri. Celle-ci a dix ri de tour, et se trouve précisément sous le vingt-septième parallèle. Elle est presque partout montagneuse et couverte de très grands arbres, excepté vers le sud, où se trouve une plaine découverte. Au midi et au sud-est sont deux autres îles, dont l’une a deux ri, et l’autre trois de tour; toutes deux sont couvertes d’arbres. Outre ces îles, il y en a quantité d’autres dont on ne marque ni l’étendue ni la distance relative. La plupart sont couvertes de bois, et plusieurs n’offrent que le sommet d’une montagne très élevée. Le nombre des îles dites inhabitées est de quatre-vingt-neuf, tant grandes que petites. La description japonaise en compte deux grandes, quatre de
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grandeur moyenne, quatre petites. Le reste n’a point de désignation particulière, et ne consiste qu’en écueils ou en rochers très élevés, tels que ceux que nos navigateurs ont remarqués dans toutes ces mers.
Suivant la même description:
"Dans les dix îles dont on vient de parler, et qui ont quelque étendue, il y a une grande abondance d’arbres et de plantes, et partout où le terrain est uni il y a des maisons et des habitans. Dans les soixante-dix autres (il faudrait dire soixante-dix-neuf), la terre est trop inégale et trop raboteuse, les montagnes sont trop escarpées et les vallées trop étroites pour qu’on puisse y demeurer; mais il y a de petits bras de mer très poissonneux, et les habitans des îles voisines s’y rendent pour en recueillir les productions,"
c’est-àdire, pour y faire la pêche.
"Ces îles, situées au vingt-septième degrè, jouissent d’une température douce; c’est pourquoi les montagnes et les vallées produisent toute sorte de légumes et de grains, du froment, du seigle, du menu riz, etc. On y trouve cet arbre que les Chinois nomment Ou-kieou-mou, et les Japonais, Nan-ki faze (Croton sebiferum). On y récolte encore de la cire, et, de plus, la pêche et la chasse y sont très abondantes, et d’un grand rapport."
L’auteur de la description entre dans le détail des différentes espèces d’arbres et d’animaux qu’on trouve dans ces îles. Parmi les premiers il y en a de très gros et de très élevés. On trouve aussi l’areca, le cocotier, le sapindus, le cannellier, le mûrier, le santal, le cam-
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phrier, un grand arbre à feuilles luisantes et comme vernissées, et une infinité d’autres. Il passe ensuite en revue les principales plantes, les oiseaux et les poissons qui y sont en abondance, et dont je crois superflu de rechercher en ce moment la synonymie.
Les Japonais prétendent avoir depuis long-temps connu ces îles; mais il semble qu’ils les ont quelquefois confondues avec les Mariannes: c’est à la troisième année yan’pao, c’est-à-dire, à l’an 1675, comme le dit Kaempfer, qu’ils font remonter, sinon la découverte des îles, au moins la fondation des établissemens qui les ont peuplées. c’est aussi à cette époque qu’on peut croire qu’ils ont commencé à les bien connaître et à les distinguer des autres terres situées au midi du Japon. Ce fût alors qu’on leur donna le nom qu’elles portent encore, quoiqu’il ait depuis long-temps cessé de leur convenir, celui d’ Iles inhabitées. l’auteur que j’ai suivi raconte qu’un marchand de la province de Fizen, faisant voile de la pointe d’Idsou sur un vaisseau chinois, toucha par hasard à ces îles, et que les jugeant propres à dédommager par leur rapport des frais qu’il faudrait faire pour s’y établir, il y revint ensuite avec trente hommes, et muni d’une patente, ou, pour mieux dire, d’un sceau qui lui en garantissait la propriété. La seule difficulté qu’on trouve, en s’y rendant d’Idsou, consiste dans un courant très rapide, qui va de l’est à l’ouest, et change de direction dans certaines saisons. Ce courant, situé au nord de Fatsisio, entre cette île et celle de Mikoura, est nommé Kourosigawa, ou le Courant Noir.
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Les colons qui se sont établis dans les îles Bou-nin s’y livrent à la pêche, à la culture des terres et à la récolte des substances médicinales et des bois précieux qui y croissent. Le gouvernement japonais n’en a pas pris, formellement possession, et les limites de l’empire sont encore à Fatsisio. Néanmoins, il est assez probable qu’il ne verrait pas sans ombrage des Européens y former un établissement. Des personnes mieux instruites pourront juger si la situation de ces îles, dans le voisinage d’un royaume fermé au commerce, peut leur donner quelque importance. Dans tous les cas, j’ai pensé que la notice précédente pouvait offrir quelque intérêt aux géographes. La population de ces îles, à une époque si rapprochée de nous, est d’ailleurs un fait peu important par lui-même, à la vérité, mais de la nature de ceux qui doivent éclairer la grande question de la population de l’Océanique et du Nouveau-Monde.
Ajoutons en terminant que M. Klaproth, dans la notice à laquelle nous avons déjà renvoyé, a consigné plusieurs renseignemens précieux, puisés à la même source d’où j’avais tiré ceux qu’on vient de lire. Il a aussi rectifié quelques assertions inexactes, et notamment les évaluations de distances, ainsi que j’en ai averti: le contenu de l’article qui est consacré aux îles Bon-nin dans la description des trois royaumes se trouve ainsi connu tout entier, et toutefois il serait bien certainement impossible à un savant européen quelconque, dans l’état actuel de nos connaissances, d’en donner une traduction littérale suivie, parce qu’il
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DESCRIPTION d’ILES PEU CONNUES.
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est concu, comme le reste de l’ouvrage dont il fait partie, dans ce langage mêlé de chinois et de japonais, où, tout en entendant le sens général, on perd à chaque phrase des modifications importantes. On a comparé cette sorte de langage macaronique au lazzi de ce personnage de la comédie, qui parle alternativement haut et bas; c’est justement l’effet qu’il produit aux yeux d’un lecteur qui sait le chinois, mais qui n’a pas à sa disposition une bonne grammaire et un lexique complet de l’idiome japonais.
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JEAN-PIERRE ABEL-RÉMUSAT, 1788–1832.
For biographical information about Abel-Rémusat see the article in Wikipedia.
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SOURCE.
Jean-Pierre Abel-Rémusat,
"Description d’un groupe d’isles peu connu et situé entre le Japon et les Iles Mariannes. Rédigée d’après les relations des Japonais. (1817)." in
Nouveaux melanges asiatiques, ou, Recueil de morceaux de critique et de memoires: relatifs aux religions, aux sciences, aux coutumes, a la histoire et la geographie des nations orientales. Tome Premier, Paris, Schubart et Heidelofff, 1829, pp.153-170.
Last updated by Tom Tyler, Denver, CO, USA, October 10, 2018.
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